Dissection d'une pseudo-satyre
« Yal fa3el, Yattar’k etc…..Tu es fâché ? excuse moi, je ne faisais que plaisanter »
C’est
désormais une excuse typiquement marocaine pour se tirer d’une
situation embarassante et qui pourrait bien schématiser la situation
dans laquelle se sont mis le directeur de Tel Quel, Ahmed Reda
Benchemsi et Karim Boukhari, auteur du billet satirique intitulé
"Secret d'une brune" datant de juillet 2005.
Il y a longtemps que
je voulais réagir à cette affaire. Je voulais prendre assez de recul et
je crois avoir bien fait puisque j'ai fait la synthèse des arguments
des uns et des autres, tout en apportant mon grain de sel à cette
polémique et en essayant d’analyser l’article incriminé point par
point,le plus objectivement possible j'espère:
Secret d’une brune Par Karim Boukhari (lire l'article en entier)
« L'anecdote a déjà été rapportée dans le dernier TelQuel, mais elle mérite plus de détails… »
En
d’autres termes, ils ont déjà publié cette « information », mais ils
ont estimé que ça n’avait pas déclenché de remous. Donc il fallait «
pondre » un article un peu plus « corsé » pour susciter des réactions
et « sensationnaliser l’info ». (voir le premier article "Haraka. La guerre du méchoui aura lieu")
« C’est l’histoire à dormir debout d’une ancienne cheikha… »
Lorsqu’on
dit qu’une histoire est à dormir debout, cela veut dire que c’est une
histoire ennuyeuse, barbante, voire même bizarre ou pas banale. Ils
signalent aussi que la personne a été cheikha…Cela voudrait-il dire que
les cheikhas ont une vie ennuyeuse, barbante, voire même bizarre ou pas
banale ? D’autre part, l’auteur de l’article a fait un jeu de mot en
disant que la députée était une ancienne chikha, en faisant
vraisemblablement allusion à la seconde chambre du Parlement (Majliss
chouyoukh).
« femme de chant et de plaisir(s) »…
Le
terme « cheikha » (qui rime et dont le sens se rapproche étrangement du
terme nippon « Geisha ») veut dire « chanteuse et danseuse populaire »
. Jusque là, pas de problème. Mais lorsque l’auteur de l’article ajoute «
…et de plaisir(s) », c’est le « et » qui est de trop. Cela sous-entend
la signification péjorative du terme et qui n’est autre que «
Prostituée », eu égard à la vie de débauche et au dévergondage
significatifs de cette « catégorie professionnelle ».
« originaire du Moyen-Atlas »…
Ceci
est un rattachement géographique de la personne visée par l’article,
pour que le sous-entendu soit mieux perçu et que la personne soit
reconnue le plus facilement possible par les gens au courant de son
origine.
« On l’appellera Asmaâ, pour éviter qu’elle ne crie à la diffamation »…
Là,
Karim Boukhari fait preuve d’un « courage désarmant ». Il sait que s’il
avait nommé la personne, elle aurait porté plainte pour diffamation.
Mauvais calcul puisqu’en pariant que sa « victime » ne se reconnaitrait
pas dans ses propos, il a donné un nombre suffisant d’indices pour que
le premier imbécile puisse la reconnaître. Sa mauvaise foi est présumée
du fait de ne pas avoir nommé la députée.
Ah
oui, j'oubliais: le choix du prénom n'est pas innocent. Asmaa est la
contraction de la première syllabe du nom de famille "Assali" et de la
seconde syllabe du prénom "Halima" = Ass+Ma
"En 2002,
donc, Asmaâ se présente aux élections législatives, les premières où le
Maroc, via sa voix la plus autorisée, a décidé d’accorder un quota pour
les femmes au Parlement"
De la localisation dans l’espace,
Boukhari passe à la localisation dans le temps. Le lecteur n’aura qu’à
faire des recherches pour connaître l’identité candidates aux élections
parlementaires, ainsi que les députées qui ont été élues cette
année-là. Il n’aura qu’à procéder par élimination et la personne
deviendra facilement reconnaissable. Et Dieu sait si il n’y a pas
vraiment pléthore de représentantes du sexe faible sous la coupole du Parlement.
"En 2002, donc,
Asmaâ se présente aux élections législatives, les premières où le
Maroc, via sa voix la plus autorisée, a décidé d’accorder un quota pour
les femmes au Parlement"
De la localisation dans l’espace,
Boukhari passe à la localisation dans le temps. Le lecteur n’aura qu’à
faire des recherches pour connaître l’identité candidates aux élections
parlementaires, ainsi que les députées qui ont été élues cette
année-là. Il n’aura qu’à procéder par élimination et la personne
deviendra facilement reconnaissable. Et Dieu sait si il n’y a pas
vraiment pléthore de représentatntes du sexe faible sous la coupole du
Parlement marocain… D’un côté, le lien peut être facilement établi, et
de l’autre la mauvaise foi est présumée du fait de ne pas avoir nommé
la députée.
Une récompense archi-méritée pour la douce moitié de ce pays.
Boukhari est féministe. Un bon point pour lui.
Asmaâ
fait partie de celles qui sont nées pour prouver, comme dit la chanson
de la Franco-portugaise Lio, que "les brunes ne comptent pas pour des
prunes".
Allusion à une chanson française sortie au milieu des
années 80 et qui disait grosso-modo qu’il n’y a pas que les blondes
dans la vie. Mais quel rapport avec Halima Assali? No comment.
Elle franchit le pas et adhère à l’un des partis de la haraka, spécialement connu pour recruter dans le Moyen-Atlas
Maintenant,
l’appartenance politique. Les indices ont tous été dévoilés. Pour
Boukhari, Le Mouvement Populaire, parti d’Aherdane, recruterait plus
spécialement dans le Moyen-Atlas…Allégation discutable.
La suite tient du miracle…
Là l’auteur nous prévient. C’est comme s’il nous disait « vous n’allez pas en croire vos yeux ! ».
Asmaâ, à la formation rudimentaire et aux activités pas toujours orthodoxes, séduit les foules humbles de Khénifra et régions
C’est
là où l’auteur blesse le plus, en sous-entendant que Halima Assali ne
dispose pas d’un bagage culturel suffisant ou que son niveau d’études
soit plus ou moins bas, selon lui, et qu’elle s’adonne à des activités
« pas toujours orthodoxes » (a contrario, louches), et que malgré ce
qu’il considère vraisemblablement comme des handicaps pour le succès
politique, Halima Assali a réussi à « séduire » (pour reprendre les
termes de l’auteur) les électeurs du Moyen-Atlas. A croire qu’il aurait
rédigé lui-même aussi bien l’autobiographie que le curriculum vitae de
Mme Halima Assali !!!
Elle troque son caftan de cheikha pour la djellaba de députée. La voilà parlementaire
Là,
il s’agit d’une figure de style pour démontrer que Halima Assali aurait
laissé tomber sa carrière de cheikha (toujours selon lui) pour en
embrasser une nouvelle. Mais les députées porte-t-elles réellement des
djellabas ?
Pourquoi pas après tout, cheikha est un noble métier, même si certains y trouvent à redire…
Ici,
Boukhari se contredit. En disant en début d’analyse que la cheikha est
une « femme de chants et de plaisir(s) », il débraye en considérant
qu’il s’agit d’un « noble métier ». Mais s’il s’agissait vraiment d’un
« noble métier » dans son imaginaire, pourquoi alors publier deux fois
(Tel Quel n° 183 et 184) une information jugée a priori comme anodine ?
Et
puis même, regardez un Ronald Reagan par exemple, il a bien été un
piètre acteur de western (néanmoins très apprécié du défunt Hassan II,
à ce qu’on dit) avant d’être bombardé président des états-Unis. Tout
cela est de bon augure.
Schwarzennegger aussi était un acteur
avant de devenir gouverneur de Californie. Cette comparaison est
totalement hors de propos, étant donné qu’un rapprochement entre la
carrière d’acteur hollywoodien et celle d’une cheikha revient tout
bonnement à comparer l’incomparable. Et Ronald Reagan a été un piètre
président aussi.
Seulement voilà : Asmaâ, qui a gravi un
échelon social, boude le Parlement. Elle n’y va plus que pour croiser
d’éminents "amis" passés…ou pour se chamailler
Eminents amis?
Boukhari viserait-il ironiquement les présumés anciens "fans" de la
présumée "cheikha"? en tout cas il fait savoir clairement que Mme Halima
Assali a gravi un échelon social. Là aussi il se contredit. Qui dit
gravir l’échelle sociale dit passer d’une catégorie « sociale » dite
"basse" (c’est un grand mot) à une autre triée sur le volet.
Indirectement, il considère que l’ancienne « profession » présumée de
Mme Halima Assali n’était pas très honorable.
D’un autre côté,
Boukhari disposerait-il d’une fiche d’appel des parlementaires, ou
tiendrait-il un registre d’absentéisme? C’est dire que les infos dont
il dispose proviennent de potins recueillis sous la coupole du
Parlement.
Dans l’une de ses dernières crises existentielles,
elle a hurlé à une autre députée, certainement jalouse du succès
d’Asmaâ : "Vous, les gens de Sidi Kacem, vous en êtes encore à
consommer le b’bouche (escargots), moi je préfère le méchoui, c’est une
question de classe !"
Incitation au régionalisme ? No comment !
et puis les escargots constituent un fin met dans la cuisine française,
ne l’oublions pas (c’est bon les escargots !!!Madame Assali, si vous
avez vraiment dit ça, ce n’est pas vrai du tout, à moins que vos propos
n’aient été déformés par un parlementaire misogyne ).Une autre preuve
que les infos recueillies par Boukhari proviennent de discussions de
café de commerce.
Asmaâ, on t'aime.
Dur à croire comme
mot de la fin, lorsqu’on enfonce les gens de cette manière. C’est assez
hypocrite de la part de Boukhari. Une sorte de post-anesthésiant après
une intervention chirurgicale. Il ne devrait pas s’attendre qu’elle
puisse partager ses « sentiments » après la « dissection » dont elle a
été victime.
Pour conclure, je défie quiconque puisse se vanter
d’avoir une « cheikha » dans sa famille, considérée dans la société
marocaine comme un véritable « squelette dans le placard » au même
titre que la prostituée. Ce n’est pas le terme « cheikha » qui est
préjudiciable, mais plutôt le sous-entendu qu’il implique, et l’article
incriminé n’est fait que de sous-entendus, de "7chyan lhedra" et de paroles en l’air
avancés sans preuves. Par ailleurs, si l’article incriminé ne visait
pas à diffamer ou à dénigrer, il n’aurait pas été rédigé sous forme de
pseudo-satyre (le mot est faible).
La diffamation est prévue dans le
code de la presse. Nul n’est sensé ignorer la loi. Boukhari, en sa
qualité de journaliste, non plus.
La députée a été blessée dans son
honneur, et l’honneur ne peut être évalué en argent. Madame Assali est
une femme. C’est également une mère, et personne ne pourrait supporter
que sa mère puisse être qualifiée de cheikha, même sur le ton de la
plaisanterie. Et personnellement je ne crois pas que l’auteur de
l’article plaisantait en la qualifiant ainsi. Telquel sort quelques
milliers de numéros de ses presses…autant de lecteurs qui lisent
l’article sorti dans les kiosques…Sans compter les internautes de par
le monde...Un préjudice considérable pour la députée…le dédommagement
doit être équivalent au préjudice subi, et Telquel doit assumer la
responsabilité de son sens de l’humour douteux. Quand à savoir si les
dommages et intérêts et l’amende sont justifiés, ça reste un aspect
technique de l’affaire laissé à l’appréciation des magistrats.
CONCLUSION
: la liberté d’expression ne signifie pas la liberté de dire des
conneries. Et comme le disait «un ancien diffamé » dans un célèbre blog
: "La liberté de la presse n'est pas le sujet. Le jour où vos
mères, vos soeurs, des gens honorables seront insultés par des
journalistes"…, soutiendrez-vous toujours inconditionnellement Boukhari? A méditer.